Introduction : Le confort des boucliers invisibles
Aujourd’hui, la plupart des sites web à fort trafic ou à usage critique sont protégés par un proxy réseau tiers comme Cloudflare, OVH Anti-DDoS, StormWall, ou encore Imperva. Ces services sont souvent vendus comme une assurance tout risque contre les attaques DDoS, les scanners automatiques, ou encore les failles applicatives les plus courantes.
Mais cette promesse de tranquillité a un coût – pas seulement financier, mais aussi stratégique, technique et parfois juridique. Faut-il aveuglément faire confiance à ces « proxies de confiance » ? Et surtout, quels sont les pièges à éviter lorsqu’on confie son trafic à un tiers ?
Partie 1 : Ce que promettent les proxies comme Cloudflare & co
Les fournisseurs comme Cloudflare ou OVH Anti-DDoS mettent en avant :
- Une protection instantanée contre les attaques DDoS (volumétriques, applicatives, SYN flood, etc.)
- Un cache CDN pour soulager les serveurs backend
- Des règles de sécurité gérées automatiquement (Web Application Firewall, bot filtering, challenge CAPTCHA, etc.)
- Une disponibilité mondiale grâce à un réseau anycast distribué
À première vue, tout cela semble idéal : déployer un site et le confier à Cloudflare, c’est comme installer une forteresse autour de sa machine, sans toucher à sa configuration. De même, l’anti-DDoS d’OVH est activé par défaut sur tous les serveurs dédiés, capable d’absorber plusieurs centaines de Gbps.
Mais cette couche de confort masque souvent des zones d’ombre.
Partie 2 : Cas réels de dépendance critique
1. La panne Cloudflare du 21 juin 2022
Une erreur de configuration dans le routage BGP d’un datacenter Cloudflare a entraîné l’inaccessibilité de millions de sites web dans le monde pendant près d’une heure. Des sites majeurs comme Shopify, Discord, GitLab ou Canva étaient totalement hors ligne – sans aucun plan de secours possible pour les clients.
👉 Leçon : Si Cloudflare tombe, vous tombez avec.
2. Contournement des protections via IP réelle
De nombreux sites derrière Cloudflare ou OVH Anti-DDoS oublient une chose cruciale : leur serveur reste accessible en direct, via son IP publique, sauf si des règles de pare-feu sont mises en place.
Des outils comme CrimeFlare, Shodan, ou des analyses de leaks DNS permettent de retrouver l’IP cachée, puis de la cibler directement pour la mettre hors service.
👉 Leçon : Le proxy n’est pas un mur si votre backend est mal sécurisé.
3. Cloudflare et la gestion de la confidentialité
Cloudflare agit en intermédiaire HTTPS : il déchiffre tout le trafic TLS, inspecte les paquets, et le chiffre à nouveau jusqu’au serveur origin.
Dans un contexte RGPD ou lorsqu’on héberge des données sensibles (banques, santé, intranets), cela pose un problème majeur de souveraineté et de confidentialité.
👉 Leçon : À qui confiez-vous les données de vos utilisateurs ? Le chiffrement bout-à-bout est rompu.
Partie 3 : Faux sentiment de sécurité et dépendance technique
Un piège courant avec les services comme Cloudflare ou OVH est de baisser la garde en pensant être protégé.
1. Les WAF génériques ne remplacent pas une vraie hygiène applicative
Même les meilleurs WAFs (Web Application Firewall) ne détectent pas toutes les failles. Des attaques sur-mesure ou des injections complexes (ex : SQLi avec encodages exotiques) peuvent passer à travers.
Rappel : Le WAF n’est qu’un filtre — la sécurité commence dans le code.
2. L’illusion du “plug-and-play sécurisé”
Beaucoup de développeurs activent Cloudflare ou l’anti-DDoS OVH, pensent que leur site est « à l’abri », et ne mettent plus à jour leur CMS, leurs plugins, ni leur système. Le proxy devient un alibi pour ne plus faire de maintenance.
Or c’est exactement dans ces cas-là qu’un attaquant bien renseigné peut frapper le backend, notamment par du bruteforce ou des attaques de type SSRF/RFI internes.
3. La dépendance à une entité tierce
Cloudflare est aujourd’hui le point de passage de plus de 20 % du trafic mondial web. Cela signifie que si cette entreprise rencontre un problème de politique, de censure, ou de législation (cf. Cloudflare coupant l’accès à certains sites pour raisons juridiques ou politiques), vous n’avez aucune main sur la décision.
👉 Exemple : en 2019, Cloudflare a brutalement suspendu 8chan à cause du contenu posté par ses utilisateurs. Rien n’empêche une décision arbitraire similaire dans d’autres contextes.
Partie 4 : Les bonnes pratiques pour éviter les pièges
🔐 1. Toujours filtrer en amont par IP
Utilisez iptables, nftables ou un pare-feu Cloud (OVH, AWS, etc.) pour que seul le proxy puisse parler à votre serveur d’origine. Listez uniquement les IP officielles de Cloudflare ou de votre anti-DDoS.
🔄 2. Mettez en place un fallback local
Si Cloudflare ou votre anti-DDoS tombe, prévoyez un plan B : un DNS secondaire, une redirection IP manuelle, ou un basculement automatique vers un nœud secondaire (load balancer multi-hébergeur, par exemple).
🕵️ 3. Ne vous reposez pas sur un seul prestataire
Vous pouvez utiliser plusieurs couches de protection indépendantes : par exemple un WAF applicatif local (comme ModSecurity), combiné avec un CDN externe pour les assets statiques uniquement. Cela limite l’exposition des données critiques.
📦 4. Externalisez sans exposer
Ne donnez pas plus d’autorité que nécessaire à vos fournisseurs. Si vous utilisez un CDN ou un proxy anti-DDoS, gardez le contrôle du DNS, de vos logs, de votre chiffrement, et de vos certificats.
Conclusion : Sécuriser sans déléguer aveuglément
Faire appel à Cloudflare ou à OVH Anti-DDoS est souvent une décision pragmatique, surtout quand on gère un service exposé à forte audience. Mais ces outils doivent compléter votre stratégie de sécurité, pas la remplacer.
En matière de cybersécurité, la vigilance permanente est toujours préférable au confort trompeur d’un “tout délégué”. Derrière chaque proxy, c’est votre infrastructure réelle qui encaisse – et votre responsabilité aussi.
À retenir
- ✅ Les proxies comme Cloudflare sont utiles mais ne doivent pas devenir un point unique de confiance.
- ⚠️ Votre IP d’origine reste vulnérable si mal configurée.
- ❌ Ne déléguez pas totalement la confidentialité ou la responsabilité de votre sécurité.
- 🔐 Filtrez votre trafic, chiffrez vous-même, et gardez un plan B.